J’ai eu le plaisir de rencontrer Bernard la suite d’un échange de mails. Nous nous sommes retrouvés à Héron Park, près de Lille et avons échangé près de 2h un soir d’automne. Il m’a passé un exemplaire de son livre « Remettre les pendules à l’heure », qui traite d’un sujet peu évident : Le nu artistique comme thérapie, dont vous comprendrez le sens en lisant l’interview.
A la base, je pensais présenter le livre comme je le fais souvent pour d’autres éditeurs, mais je trouve que cette fois, ce travail particulier, traitant de sujets parfois difficiles, et associé à un traitement esthétique du corps, méritait d’être présenté plus en détail.
Je vous laisse maintenant à la lecture des réponses de Bernard.
Bonjour Bernard, peux-tu te présenter ?
Bonjour et merci de m’accueillir pour cette interview dans votre magazine.
J’ai 66 ans. Je suis né à Hellemmes près de Lille et j’y réside encore. Mon père était passionné de cinéma et à l’occasion projectionniste. Ma maman était musicienne, pianiste, mais aussi caissière de cinéma.
Quel est ton parcours photographique ?
J’ai commencé la photo à 13 ans dans une MJC (Maison des Jeunes et de la Culture). J’ai donc pu profiter du labo photo avec un directeur génial.
Ensuite, à partir de 1979 j’ai eu une carrière professionnelle dans le milieu du cinéma et de la télévision : éclairagiste, chef-éclairagiste, assistant technique de reportage et assistant opérateur de prise de vue.
En 2000, j’ai démissionné de France Télévision pour poursuivre une carrière de photographe.
Comment es-tu arrivé à cette discipline, le nu photographique ?
Au début, comme tout le monde, il fallait bien vivre donc je faisais des mariages haut de gamme, un peu de mode et également de la photo de coiffure pour les collections de Karl Lorenz. J’ai également fait un peu de Corporate et bien évidemment des portraits.
Mais bien évidemment j’ai toujours une culture de très bons photographes comme Jean Loup Sief , Lucien Clergue , des visionnaires de la photos de nu,
Par la suite, j’ai recentré mon activité sur des portraits dans le style Harcourt puisque je travaille avec les mêmes projecteurs de cinéma (lentilles Frénel) que leurs studios. Étant chef-éclairagiste, il ne m’a pas été difficile de maitriser ce style.
Plus tard, une personne m’a contacté pour réaliser une séance de nu artistique privée et c’est lors de cette séance que j’ai découvert la souffrance morale de cette personne, le désir de se sentir jolie et de se réapproprier son corps.
Très bizarrement, de plus en plus de demandes dans le même esprit sont arrivées. C’est là où je me suis posé la question : pourquoi ces femmes, qui au demeurant sont jolies, ne se sentent pas bien dans leur corps ?
Cette approche m’a fortement intéressé, j’ai eu envie de poursuivre cette démarche qui est une forme de thérapie par la photo, en y incorporant à la fois la maitrise de la lumière et les poses académiques.
J’aimerais apporter une précision, je ne suis pas photothérapeute, c’est un terme qui est réglementé et qui consiste à utiliser les ultra-violets pour soigner les problèmes de peau, réservé aux dermatologues. Il m’arrive de grincer des dents quand je vois certains photographes s’auto-déclarer photothérapeutes.
Comment se passe la relation avec le modèle ?
Avant la séance, il y a ce que j’appelle « la première mise à nu » qui consiste à se poser les bonnes questions : pourquoi la modèle a besoin de faire ce genre de photo ? Qu’est-ce qu’elle n’aime pas chez elle ? Quelles sont la ou les raisons qui font qu’elle se sente dévalorisée ?
Très souvent, la personne m’explique des choses très personnelles en lien avec son mal-être. A partir de cela, je lui explique comment nous allons procéder pour la séance.
Il y a toujours une ambiance courtoise, respectueuse et bienveillante.
Comment trouves-tu tes modèles ?
Il y a deux types de modèles. D’une part, il y a les modèles avec qui je travaille régulièrement en collaboration et qui, très bizarrement quand elles apprennent que je travaille sur le thème de la violence morale faite aux femmes, se confient un peu plus et ont envie de faire ce genre de photos.
D’autre part, il y a aussi les « madames tout le monde » qui n’ont pas l’expérience de modèle et qui font la démarche de me contacter. Certaines d’entre elles ont envie de continuer ensuite en tant que modèles.
Et il y ensuite aussi le bouche à oreille qui fonctionne très bien.
Tes modèles ne sont pas des professionnelles, elles n’ont jamais fait ce genre de photos, comment arrivent-elles à poser pour toi ?
Dans un premier temps, elles consultent mon portfolio et découvrent mes travaux. C’est là sans doute que le professionnalisme et le sérieux les incitent à me contacter. Souvent d’ailleurs elles me disent « vos photos sont jolies et surtout elles ne sont pas vulgaires ».
Ensuite, comme je l’ai déjà dit précédemment, il y a une discussion profonde avant la séance qui orientera mon travail différemment selon ce qui a été dit. Je ne propose pas les mêmes choses par exemple à une personne qui a subi des violences sexuelles et pour qui la mise à nu est compliquée, qu’à une personne qui a subi des violences morales.
Je tiens compte de la pudeur qui peut exister, il est hors de question de dire « déshabillez-vous et on y va ». Je commence d’ailleurs souvent par une photo de dos nu qui est une première mise à nu, cela permet à la personne d’une part de découvrir une partie de son corps qu’elle ne voit jamais et d’autre part de commencer la séance par une première mise en confiance. Très souvent, au bout d’un quart d’heure, la personne oublie qu’elle est nue (d’ailleurs elle est habillée d’une peau) !
Y a-t-il des types de modèle que tu souhaites photographier mais que tu n’as pas encore fait ?
Effectivement, j’aimerais pouvoir travailler sur le handicap physique mais je ne veux pas faire comme beaucoup ont déjà fait. J’aimerais faire des photos de la personne sans sa prothèse, au naturel, pour travailler sur l’acceptation de son corps transformé. On peut se sentir très jolie avec un bras ou une jambe en moins.
Il est difficile de trouver des modèles, quand je contacte par exemple un établissement de rééducation, je me confronte bien souvent à un corps médical sans ouverture d’esprit, qui s’approprie les patientes en décidant à leur place. J’aimerais pouvoir rencontrer les personnes directement sans ce barrage systématique.
Tu t’es occupé de tout pour faire ton livre, comment cela s’est-il passé ?
J’ai d’abord contacté un ancien collègue de la télévision qui était journaliste et qui est à la fois auteur et éditeur (« Gilles Guillon Editions »). Au départ, cela n’a pas été simple car il édite habituellement des polars et des romans. Il a été heureusement séduit par mon projet.
La partie texte a été rédigée par Gilles à partir de l’enregistrement de nos conversations. Ensuite, il a trouvé un graphiste pour la mise en page et un imprimeur en Belgique. Gilles s’est chargé d’éditer et de trouver un distributeur.
Après ce premier livre, d’autres projets d’édition sont-ils prévus ?
Oui, j’ai un autre projet en cours sur le thème du tatouage avec un angle qui n’a jamais été abordé à ce jour. Je ne peux vous en dire plus, vous comprendrez que le projet est « top secret » pour l’instant…
Un dernier mot ?
Je dirait deux mots , ne cherchez pas à être célèbre , ne pas regarder aux nombres de likes ou de followers , votre notoriété viendra ou pas …….c’est le fruit de votre travail qui traversera le temps …..
J’organise actuellement un calendrier d’expositions sur le thème « La violence morale faite aux femmes ». C’est à la fois une exposition de 25 photos accompagnées de textes et une conférence-débat avec l’intervention d’une procureure de la République, d’un officier de police judiciaire, d’une psychologue et souvent d’un représentant d’association.
Actuellement, j’ai déjà cinq lieux d’exposition intéressés. J’en profite pour faire un appel aux lecteurs qui souhaiteraient accueillir mon expo…
Vous êtes intéressé ou connaissez quelqu’un qui peut l’être, téléchargez le document de présentation, qui vous donnera plus de détails sur la démarche de Bernard.
Vous pouvez également acquérir le livre « Remettre les pendules à l’heure » directement sur le site de Bernard, en cliquant ici.