Cette semaine nous partageons avec vous le portfolio et l’interview du photographe Stéphane Hette, spécialisé dans un domaine qui lui est propre. Les macro-photographies sur fond blanc.
Bonjour Stéphane, malgré un site très bien garni, on ne découvre que peu de choses sur toi. Alors qui se cache derrière cet appareil ?
Salut Sébastien, j’ai 45 ans, je suis marié à une femme formidable avec qui j’ai eu 2 fils, pas mal non plus : Robin et Théo. J’ai un parcours sans doute un peu atypique, après des études d’art j’ai été tour à tour dessinateur de bande dessinée puis durant 7 ans officier dans l’Armée de Terre. Suite à un grave accident j’ai décidé de me consacrer définitivement à mes premières amours : les images. J’ai donc quitté l’Armée et me suis installé en 1998 en tant que graphiste illustrateur indépendant. Aujourd’hui je suis artiste auteur toujours freelance. Je travaille pour le magazine Nat’images en tant que rédacteur/photographe, ainsi qu’à la réalisation de livres et sur mes propres projets, si mes images ne sont plus en agence, un choix personnel, elles sont vendues par la galerie Blin plus Blin. Je vis à la campagne dans un petit village non loin du lac du Der.
Comment t’es venue cette passion pour la photographie ?
Presque par hasard, mes clients me fournissaient souvent des photographies de piètre qualité ou carrément scannées sur des catalogues… J’avais plus de travail de retouche que de travail de graphiste à proprement parler, et puis souvent il s’agissait d’images dont on ne disposait pas des droits. Ne voulant pas travailler avec des images volées, j’ai décidé de leur proposer de réaliser les photographies des supports de com dont ils me confiaient la création. Et contre toute attente cela m’a tout de suite plu. J’ai commencé avec un bridge et rapidement, de mémoire en 2006, j’ai acheté mon premier reflex. Un des éléments déclencheurs de mon intérêt à la nature a été sans aucun doute une visite de l’édition 2005 du festival de Montier, le fait d’habiter en pleine nature n’est sans doute pas étranger non plus… Puis de belles rencontres comme par exemple celle avec Pascal Bourguignon, je crois en 2006, ont participé à changer ma vie, cela c’est fait naturellement petit à petit.
Tu continues tes séries « Art of Butterfly » ?
Oui ! Je suis addict ! Photographier les papillons me rend heureux alors pourquoi arrêterais-je. D’autre part j’ai le sentiment de ne pas avoir fait le tour du sujet et je crois d’ailleurs qu’une vie ne suffira pas…
Travailler sur une longue série te contraint à te renouveler, à te poser des questions, à imaginer de nouveaux scénarios et à surtout progresser. Cela m’a permis de développer ma propre technique photographique afin d’obtenir dès la prise de vue l’image que je souhaite. Cette somme de compétences a pu être réinvestie dans d’autres types d’images. Je crois que pour ne pas ennuyer le public tu dois commencer à ne pas t’ennuyer toi-même. Être heureux, enthousiaste, bosser avec des gens que j’aime et prendre du plaisir à faire les choses est quelque chose d’essentiel pour moi, j’espère que cela transparaît dans chacune de mes images et que le spectateur le ressent.
Le blanc … Ces photographies «aseptisées» de tes premières expositions, se sont bien remplies au fil des ans ! Une volonté d’évolution ?
Je débutais à l’époque et sans renier ces images qui m’ont permis d’appréhender la photographie je pense avoir aujourd’hui une palette plus large. Il est dans mon caractère d’avancer, de changer de remettre en question mon travail. Je voulais aussi montrer que ces photographies ne sont pas des «ovnis», qu’elles s’inscrivent logiquement dans l’histoire de l’iconographie naturaliste. Et puis en changeant de sujet tu te dois de trouver des solutions pour, à la fois conserver ton concept de prise de vue tout en préservant l’intégrité de l’animal que tu photographies et en même temps tenter de le présenter sous un jour nouveau. Je ne suis pas un photographe naturaliste mais un photographe qui a choisi la nature pour sujet… La différence est subtile mais de taille.
Je crois que la sensation d’images aseptisées n’est présente que sur le net. J’ai toujours choisi avec soin mes papiers afin justement que ce blanc soit de qualité, qu’il possède une matière, comme le Canson aquarelle par exemple, et qu’en fait il soit tout sauf aseptisé et tout sauf blanc. Je suis de ceux qui persistent à penser que le support à une incidence sur l’image et que le choix du papier sur lequel tu décides de tirer ta photographie est primordial. Sans doute de réminiscences de mes études d’art…
De la même manière j’essaye que le moment photographié soit un instant de tension où il se passe quelques chose, qu’une émotion tangible soit captée à cet instant.
Lorsque je montre une de mes photographies sur fond blanc on me parle de modernité lorsque je mets cette même image sur un vieux papier on me parle presque immédiatement d’Audubon et des planches naturalistes du 18e siècle…
J’ai conscience que mes photographies dérangent parfois certains naturalistes qui pensent que je m’accapare la nature, que je l’intellectualise, que je sers des desseins personnels, voire que je fais du mal aux animaux que je photographie. Je dois avouer que je me fiche de leurs avis que je n’ai pas besoin de caution, je sais comment je travaille, ceux qui m’entourent et me connaissent le savent également cela me suffit amplement. Et puis si j’avais tenu compte de l’avis de gens j’aurais arrêté aux premières critiques, le plus souvent anonymes, qui trouvaient cela facile, me jugeaient sans talent, ni inspiration et me prédisaient que je n’exposerai jamais. Le premier critique de mes images c’est moi-même, si l’avis de certains de mes proches m’importe c’est toujours moi qui décide du sort d’une image. Ensuite elles ne m’appartiennent plus, il est impératif de se dissocier de son travail sinon toute critique d’une de tes images devient une critique à ton encontre, tout devient une affaire personnelle. Cela ne doit pas se produire. Et même si je mets beaucoup de moi-même dans mes images mon travail photographique ça n’est pas moi.
Côté technique, quel matériel utilises-tu ?
J’utilise deux reflex full frame : 1 D3x et 1 D800e. Le plus souvent couplés à un 60 macro nikkor AFD, parfois au 105 vr. Pour mes très gros plans j’associe au 60 3 bagues allonges Kenko.
Sinon j’aime beaucoup le 50 macro Zeiss qui dès f2 délivre des images de folie mais bon pour la mise au point c’est une autre paire de manches et plus encore avec le D800e qui est une diva qui ne tolère aucune erreur de MAP. Mais quand tu prends ton temps et que tu t’appliques tu es récompensé de tes efforts…
Pour obtenir un fond blanc, j’emploie une dizaine de flashs SB-200 que j’ai achetée au fil du temps et de mes besoins. Le tout est piloté par un SB-800.
A cela tu ajoutes des mini trépieds, des ciseaux, de la ficelle, du papier, des pinces croco, une flopée d’accus, une lampe dynamo et un tas d’autres trucs qui relèvent bien souvent beaucoup plus du bricolage que de la photographie. Voilà pour le principal.
Ha, j’allais oublié l’essentiel : un petit carnet où je note mes idées de photographies sous forme de courtes description ou de croquis et pour les fonds en extérieur je me sers de plaques de dibon (elles supportent très bien l’humidité) et en intérieur de simples feuilles de papier.
Une photo coup de cœur dans ta dernière série ?
Je viens de réaliser une série d’images de crevettes d’eau douce pour un reportage pour le magazine nature Nat’images à paraître d’ici quelques jours. Cela m’a bien éclaté même si je ne pensais pas que ces petites bêtes me donneraient autant de fil à retordre : elles nagent super vite. Difficile de leur tirer le portrait avec 3 bagues allonges ! C’est passionnant et instructif de découvrir une espèce grâce au spectre de la photographie. Mais mon coup de cœur va une fois de plus à une photographie de papillons une image que j’avais en tête depuis 2 ans, une petite tortue photographiée posée dans un buisson japonais. Une image douce et poétique.
L’avenir de la photographie semble toujours être aussi sombre, comment le ressens-tu ?
Foncièrement je suis plus inquiet pour les photographes que pour la photographie.
Le marché est difficile et beaucoup de gens pensent encore qu’acheter un appareil photo fait de vous un photographe alors que personne n’imaginerait qu’acheter un piano fait de vous un pianiste. Les photographes causent aussi parfois leur propre tort en acceptant d’être publiés à moindre coût voire gratuitement ou en manquant de cohésion.
A cela s’ajoute le fait que certaines villes ou structures institutionnelles ne jouent pas le jeu en te proposant d’exposer à tes frais pour créer un événement qui ne leur coûte rien qui valorise leur image de marque et dont finalement toi, le photographe à la base de cet événement, tu ne retireras aucun avantage. L’an dernier j’ai été contacté vers 22h (?), un dimanche (?), par une élue chargée de la culture d’une importante ville voisine. Elle me proposait d’exposer dans une chapelle une centaine de photographies grand format, bien sûr fournies et installées par mes soins le tout pour une durée des plusieurs mois et bien évidemment sans aucun défraiement ni contrat de location. Bref je prêtais gracieusement 12 000 euros de tirages et 5 ans de boulot. «On aime beaucoup ce que vous faîtes» (ce méfier des conversations qui commencent comme cela),… «Des parisiens viennent exposer ici vous savez…» (genre toi qu’es un plouc tu devrais être ravi), … «en échange on vous donnera 100 catalogues». A parce qu’en plus vous allez donner mes images ! ? C’est surréaliste !!
Pour durer dans ce métier tu dois commencer par apprendre à dire non aux trucs bancals et foireux, te brader ne fait que repousser de quelques mois le moment où tu devras arrêter ton activité et met en danger la pérennité de l’activité de tes collègues mais quand tu es dans la merde c’est souvent juste un réflexe de survie. Après ceux qui pensent se faire une place en cassant le marché ont tout faux le marché étant déjà cassé. Il ne faut même pas envisager perdurer avec cet état d’esprit ! Je crois aussi qu’un grand nombre des personnes qui s’installent actuellement ignorent dans quoi elles s’engagent, il y a sans doute déjà plus de photographes que le marché peut en absorber du coup seule une petite quantité parvient à en vivre réellement.
Mais heureusement il y a des villes, des régions, des institutions, des magazines, des associations, des entreprises et des mécènes qui soutiennent la photographie et les photographes. Tous les offices de tourisme de France ne sont pas pourris, tous les rédacteurs en chef ne sont pas en quête d’images gratuites. Il appartient peut-être aussi «aux clients» de se soucier de ce qu’ils achètent exactement. Il existe bien des cafés équitables pourquoi pas un prix équitable de la photographie ? A l’heure où un 200-400 coûte presque une année de salaire et des marques te conseillent de faire l’illustration à 1€ pour arrondir tes fins de mois ? Va falloir en vendre un paquet à ce tarif ou vivre très frugalement :))) Quant aux pages à 50 euros il en faut 40 par mois pour payer tes charges et te dégager un semblant de salaire et ça tous les mois… Il est évident que ce sont des tarifs indécents qui étranglent les photographes !
Je suis malgré tout optimiste, la preuve : je continue. Mais je suis conscient que j’ai la chance que des gens aiment et soutiennent mon travail car je sais que pour beaucoup de collègues la situation est bien plus délicate et certains sont contraints de cesser leur activité et la photographie devient alors soit une activité annexe soit un loisir. Je pense que quand tu as la chance d’être un peu reconnu et qu’on te donne la parole tu ne dois pas te contenter de te féliciter de la reconnaissance de ton «œuvre» mais en profiter pour dire ce que tu penses…
En fait ça me saoule de devoir rappeler sans cesse aux gens qu’on doit payer un boulot. Il ne viendrait à l’idée de personne de tenter de faire réviser sa voiture ou changer sa chaudière gratos alors pourquoi demander à un photographe ou à un dessinateur de bosser gratuitement ? Du coup on a l’impression que les pros sont toujours en train de pleurer ou de râler alors que la plupart «se contenteraient» simplement de pouvoir exercer leur profession dans des conditions normales : en étant rétribué de manière décente…
Merci Stéphane, de nous avoir accordé du temps pour les lecteurs de Revue Photo, nous te laissons clore celle-ci par le mot de la fin …
Tout d’abord merci pour l’espace que Revue Photo accorde à mes images et à la photographie en générale. Quant à moi j’ai évidemment des idées plein la tête, des projets d’expositions en France et à l’étranger et un second livre en ligne de mire. J’ai actuellement deux expositions une à Paris à la MEP jusqu’au 16 juin prochain et une autre dans la Sarthe à l’Abbaye d’Epau jusque fin septembre. D’autres expositions sont en cours de préparation pour ceux que ça intéresserait toutes mes expositions sont annoncées sur mes sites et sur mon blog.
Bref l’aventure continue, entourée d’amis fidèles, je suis heureux de mes choix de vie, je souhaite à chacun de trouver sa voie, quelle qu’elle soit. Bon vent à Revue Photo !
Amicalement Stéphane
6 réponses
Super article plein de franchise,je te reconnais bien là Stéphane
Un beau portrait pour un homme élégant d'esprit qui nous donne à voir des images délicates et d'une beauté captivante
Fantastique.
Une superbe interview , qui nous fait découvrir davantage Stéphane et son Univers ; véritable poète de la Nature !
magnifique interview
…
Vu l’expo de Stéphane à la MEP : très belle. J’aurais souhaité un espace plus grand pour que l’étendue de la palette de l’artiste soit découverte par les visiteurs d’un lieu peu « fréquenté » par la photo nature.
Excellentes l’interview et les positions sans langue de bois concernant la rémunération du travail photo.