« Photographier l’invisible sans éveiller le soupçon …ou les tribulations d’un photographe nocturne mayennais » c’est ainsi qu’Eric « ouvre » son livre à ses lecteurs.
Eric a déjà fait l’objet d’un article au sein de « Revue Photo » en 2011, une présentation de son travail sur les chauves souris entre autres ; à l’époque il disait déjà : « Et j’aime la nuit. Tout naturellement, je me suis spécialisé dans la photo des chauves-souris en vol après avoir attendu des nuits entières au pied des terriers de blaireaux près de la maison de mon enfance. »(http://www.revuephoto.com/interview-de-la-semaine-eric-medard/). c’est donc tout naturellement que son nouveau livre se consacre à la nuit en nous proposant des photographies extraordinaires et inédites de la vie sauvage nocturne qui nous entoure sans qu’on ne la voie et sans qu’on ne le sache !
Retrouvez dans cet article les échanges que nous avons eu pour la présentation de son travail.
- Comment est né le projet ?
La photographie de la faune nocturne m’a toujours passionné. Ayant passé des centaines d’heures à l’affût des animaux nocturnes, des chauves-souris en passant par les blaireaux et les chouettes, j’ai pu constater que les éclairages aux flashes classiques ne sont pas sans provoquer des dérangements avec certaines espèces.
Puis en 2010, à Montier en Der, j’ai vu l’exposition de Jacques Ioset réalisée en partie grâce à des éclairages infra-rouges. Ce fût un choc esthétique.
Enfin, début 2012, un photographe de mon département me montra des photographies infra-rouges numériques réalisées avec des projecteurs IR. Ne voulant pas dévoiler sa technique ce qui me semble tout à fait légitime, ma curiosité en était cependant bien piquée. Après quelques semaines de recherches assidûes, je trouvais des solutions et je mettais au point un dispositif photographique à la fois insonorisé, étanche et avec des éclairages infra-rouges performants et puissants. Il n’y avait plus qu’à multiplier et installer les pièges photographiques.
- Le choix du titre est original et poétique.
Oui poétique, j’aime aussi l’écriture et je trouve que ces photographies incitent aussi aux rêveries…
- Pourquoi ce thème ?
Par intérêt et passion, par goût de la difficulté et pour aider à faire connaître au grand public cette faune que l’on ne voit que rarement.
- Quels sont les autres objectifs de ton projet ?
C’est aussi mettre au point une technique qui pourra permettre de photographier et donc d’apprendre des choses sur es espèces très sensibles. L’exemple des chauves-souris sur site de reproduction est l’exemple le plus significatif. La quasi totalité des colonies de repros ne peuvent absolument pas supporter des photographies avec des flashes en lumière blanche. Par contre en lumière infra-rouge, plus de problème. En observant évidemment les démarches habituelles liées aux prises de vues avec ces animaux fragiles.
- Est ce une première internationale selon toi ?
Sans doute pas mais je n’ai encore rien trouvé de semblable hormis les quelques photos de Jacques dont ses photos d’ours Slovènes juste extraordinaires. Par contre, j’ai axé mon travail photographique vers une recherche d’une biodiversité maximale. Et ça je pense que c’est une première. J’ai vraiment photographié énormément d’espèces différentes dont certaines rares ou exceptionnelles. La photographie du lérotin est sûrement l’exemple le plus significatif. C’est une espèce que même Robert Hainard n’avait pas observée et il en existe assez peu de photographies. - quelques mots sur le coût du projet ?
J’ai investi énormément pour mener à bien ce projet. A la fois d’un point de vue matériel. Il a fallu multiplier les barrières infra-rouges, les caissons, les trépieds, les boitiers photographiques modifiés, les batteries, les cables, enfin tout le matériel nécessaire. Mais j’ai aussi investi beaucoup de temps (3 années à ne faire que des recherches pour installer les pièges ou bien à les relever. Donc beaucoup de terrain mais presque plus de temps à faire des photographies classiques et assez peu de temps pour vendre des reportages.
- Comment s’organisent les sorties ? piège ? affût ?
La plupart des photographies ont été faites en piégeage, assez peu en affût. Quelques unes quand même. Mais cela représente en effet des milliers d’heures de recherche d’indices de présence, d’installations. Il est évidemment hors de question de multiplier les photographies sur un même site. Je ne pouvais pas faire un livre avec seulement quelques endroits photographiés. Il fallait donc, y compris pour une même espèce trouver beaucoup d’endroits et de situations différentes mais aussi esthétiques. Un énorme travail donc qui occupe encore tout mon temps !
- Comment choisis tu les différents lieux d’affût ou de piégeage ?
Selon les choix esthétiques et les espèces recherchées.
- Comment les lieux sont ils choisis ? traces ? connaissances ou recherches particulières ?
D’abord, il a mes connaissances naturalistes, c’est le départ de toute recherche d’une espèce. Je ne dispose jamais mes pièges photographiques au hasard. Je sais toujours quelle espèce je recherche même si cela n’évite pas les surprises. Je sais donc pour chaque animal, les formes des traces, des poils, des pelottes de rejection, des crottes. Mais comme je le disais précédemment, une photo de l’animal ne me suffit pas, je veux avant tout faire une photographie qui a une dimension esthétique. Toutes les espèces de ce livre à venir sont des espèces bien connues et si ce n’était que faire des photographies de la faune qui nous entoure n’apporterait pas grand chose. Je veux apporter une dimension supplémentaire, une sensation nocturne toute particulière en multipliant les éclairages et en tentant des restituer des ambiances bien nocturnes.Et puis certaines des photographies réalisées, je les dois à des amis, et uniquement à eux. On ne photographie le lynx à 700 km de la maison comme ça sur un coup de chance. Mon ami Laurent Geslin a été là pour me guider, même chose pour la genette que j’ai pu découvrir grâce à Gregory Ortet, un passionné de montagne. Thomas Friedrich fût le premier à guider mes pas dans ceux de la loutre chez moi en Mayenne il y a dix ans et grâce à lui j’ai pu retourner sur sa trace et la comprendre, l’apprendre …
- Des déceptions ? des choses à changer ?
Des déceptions, oui forcément. Une espèces que je cherche à photographier sans relâche depuis le début du projet et aujourd’hui encore sans succès : le putois. Des voyages orientés spécialement sur des espèces sans avoir réussi les photos. Il y a toujours des échecs lorsque l’on mène un tel projet de longue haleine mais il y aussi parfois de telles surprises comme cette renarde avec une portée de châtons harets dans la gueule.
Des choses à changer, y a toujours. Et quatre ans après le début du projet, mes dispositifs évoluent toujours, de nouvelles idées de bricolage, des nouveaux systèmes de déclenchements …
- Peux tu nous en dire plus sur ton matériel, sur ces fameux pièges « de ma fabrication » ?
Les boitiers sont des reflex classiques, ils sont seulement défiltrés pour les rendre sensibles à la lumière infra-rouge. C’est Richard Galli qui me fait cette transformation. Il travaille beaucoup pour les astrophotographes, et vu le prix du D810, je pense qu’il va encore défiltrer quelques boitiers !!
Marc Jardel (JAMA) m’a fabriqué des barrières infra-rouges toutes spéciales. J’utilise aussi des barrières semblables à la toute dernière barrière 4 de Marc.
- La lumière infrarouge c’est donc une garantie d’absence de dérangement ?
Tout l’intérêt de l’utilisation de la lumière infra-rouge est bien sûr l’absence de dérangement, enfin à condition de rendre le dispositif également silencieux. Cela rend la démarche originale et éthiquement irréprochable.
- Et justement, pour masquer le bruit du déclenchement ?
Là encore, j’ai trouvé les solutions techniques en recherchant sur le net. J’ai choisi de transformer des boites étanches pour que le boitier puisse y être glissé mais qu’il y soit aussi déclenché.
- côté cadrage ?
il est fonction du milieu choisi, de la focale, de ce que veux montrer et évidemment de l’endroit ou la barrière est disposée
- Quels impacts des conditions d’utilisation sur le matériel ?
Forcément, après trois années passées presque sans discontinuer à l’extérieur, le matériel souffre parcqu’il travaille. La pluie, le froid n’ont pas impacter le matériel car les caissons sont vraiment efficaces. Par contre, la multiplication des photographies à fatigué les obturateurs. Il aura fallu en changer un et un autre montre à son tour des signes de faiblesses…
- Côté Post traitement ?
Oui forcément, les photographies sont naturellement rouges, je les transforme donc en noir et blanc. Ensuite, j’ai pour habitude de toucher le moins possible à mes photographies. Je ne recadre donc généralement pas, j’apporte beaucoup d’attention au cadrage au moment de la prise de vue. Par contre les éclairages infra-rouges ne sont pas toujours faciles à maitriser. Il faut souvent une ou plusieurs nuits de prises de vues avant de trouver les bon ratio. Malheureusement il arriveparfois qu’une photographie vraiment intéressante soit prise au tout début et cela m’oblige alors à travailler un peu les éclairages en diminuant par exemple u peu les hautes lumières ou en augmentant légèrement la lumière dans des zones d’ombre. Mais toujours dans des proportions très raisonnables. C’est ma démarche depuis toujours, il n’y a pas de raison que cela change.
- Dans ton livre, tu évoques le lynx, l’ours « au-delà de nos frontières » mais encore ?
Oui au delà de nos frontières même si pour l’ours j’ai fait trois séjours dans les Pyrénées a installé des pièges photographiques en montagne sans réussir. Je suis passé tout près mais j’ai échoué. Il faut dire que j’ai joué de malchance avec la météo avec à chaque fois des chutes de neige importantes et rendaient rapidement le matériel inopérant
- Pourquoi le choix de Salamandre comme maison d’éditions ?
La Salamandre vient d’éditer le livre de Jacques Ioset sur l’ours, Lune de miel. Comme je le disais plus haut, Jacques a aussi réalisé des photographies infra-rouges de ses ours. Et Julien Perrot me confiait qu’elles avaient été très difficiles à imprimer tout en en gardant toute leur force. Il était en outre très intéressé par mon travail et mon approche. J’ai donc préférer jouer la sécurité et profiter de leur primo expérience en matière d’impression de ces images particulières afin d’être certain d’avoir un livre irréprochable du point de vue de sa qualité d’impression. La mise en page est aussi réalisée en partenariat avec la Salamandre. - Pourquoi le format carré 29*30.5 cm ?
Parce que c’est le format de lunes de miel et que ces deux livres, je le pense vraiment, iront très bien ensembles. Ils seront cohérents. Une approche naturaliste et photographique philosophiquement identiques, un livre monospécifique sur l’ours et un livre jouant le contre pied en cherchant au contraire une biodiversité maximale.
Et puis cela fera de très belle et grandes planches pour y plonger le regard et ses songes … - quel est l’intérêt de l’impression quadri ?
Justement pour avoir des noirs très très profonds et une qualité d’impression au top. Cela nécessite par contre un savoir faire en terme de préparation des fichiers et en terme d’impression que je n’aurai pas su maitriser. - Pourquoi le mat ? quel grammage ?
Le choix n’est pas encore totalement arrêté mais ce sera de toutes les façons un papier épais et de grande qualité pour assurer la réalisation d’un livre exceptionnel.
- Pour terminer as tu des messages à transmettre ?, peut être sur cette « charte déontologique et commerciale » que tu évoquais en 2011 ?
Julien m’a proposé sa charte quand à la pratique de la photographie naturaliste et j’y adhère totalement. Je pense même que cela doit aujourd’hui être une sorte de combat. Le numérique permet aujourd’hui de faire des photographies d’animaux très facilement. Les focales extrêmes, les capteurs toujours plus lourds en terme de pixels promettent des coefficients de recadrage qui étaient impensables, inimaginables au temps de la diapositive. Il en résulte une pénétration des espaces naturelles par nombre de photographes en mal de photos d’animaux comparables aux milliers publiées chaque jour. Mais le problème c’est que bon nombre de ces nouveaux photographes vont vite, trop vite parfois. Seule l’image prime, sans qu’on ait pris le temps de connaître l’espèce, et encore moi le milieu où cette espèce vit avec tout ce que cela comporte comme excès et comme risque pour les animaux sauvages. Il n’y a qu’à voir l’engouement pour les affûts payants. Il faut tout de suite des photographies extraordinaires d’animaux si possible emblématiques sans prendre le temps d’y avoir compris grand chose et du coup d’y avoir appris grand chose.
Aujourd’hui encore, il y a de nombreuses espèces que je rêve de photographier sans avoir pu le faire. Je m’y emploie pourtant. Cela fait 20 ans que j’espère l’autour des palombes, 5 ans que j’ai monté un affût spécialement pour lui en forêt près d’une marre forestière ou pourtant il vient parfois boire. Et malgré les dizaines et dizaines d’affûts à l’y espérer je n’ai pas encore fait la moindre photographie. Mais malgré cela, je me refuse à aller voir Bencé Matté en Hongrie ou je serai pourtant assuré de faire les photographies rêvées. Non, j’espère réussir un jour, et je continuerai à chercher le chemin du succès en cherchant à mieux le comprendre et en attendant qu’un jour la chance me sourisse, au risque que cela n’arrive jamais !
Et il est un autre aspect des choses photographiques auquel je suis très attaché, c’est au respect de l’image originelle. J’entends par là qu’un photographe naturaliste doit mettre tout en œuvre pour réussir sa photographie au moment de la prise de vue et non pas une fois installé derrière son ordinateur. Il est tellement simple et modifier la colorimétrie, de recadrer à outrance, d’enlever et de rajouter des éléments ou de modifier totalement ou en partie le réel qui était celui du moment photographié. C’est vrai pour tous les domaines de la photographies mais encore plus pour la photographie naturaliste. Car si l’on veut porter un message de respect de la faune sauvage à travers des images qui rendent le public admiratif et ému devant l’extraordinaire beauté du vivant, qu’arrivera-t-il s’il se sait trahi ?
Prix public TTC 34euros
Pour aller plus loin : http://www.ericmedard.com/