Pour la sortie de la version 3 de son livre, nous avons demandé à Joëlle une petite interview.
> Bonjour Joëlle, peux-tu te présenter en quelques lignes pour les lecteurs de Revue Photo ?
Bonjour.
Oui, volontiers. De nationalité belge, je suis établie en France depuis 2001, où j’exerce ma profession d’avocate au Barreau de Bayonne. Je suis par ailleurs passionnée de photo depuis l’âge de 11 ans, et j’ai donc, en parallèle, une seconde activité professionnelle sous un statut d’auteur depuis 2009.
Ceci m’a amenée à créer le blog « Droit & Photographie » (octobre 2009), puis à publier des chroniques juridiques dans « Compétence Photo » (depuis janvier 2010). La première édition du livre « Vendre ses photos » est sortie en octobre 2010, comblant apparemment un besoin puisque nous en sommes à la 3ème édition aujourd’hui. Parallèlement à cela, je dispense des formations juridiques pour les photographes, sous couvert d’un agrément formateur.
> Comment es-tu passée de la Robe à Photographe auteur ?
En fait je ne suis pas passée de l’une à l’autre, j’ai juste ajouté la seconde activité à celle qui était déjà la mienne depuis 1991.
J’avais envie de faire de ma passion une réelle activité professionnelle reconnue, afin tout d’abord d’être en accord avec moi-même, mais aussi de pouvoir acquérir une crédibilité et de développer cet aspect plus artistique.
Et c’est précisément en examinant les dispositions légales à ce sujet, en 2008 et 2009 que je me suis aperçue de la complexité de cette matière même pour une juriste ayant 20 ans de Barreau. L’utilité de fournir des explications plus compréhensibles (autant que faire se peut du moins) a ensuite coulé de source, et de là est né le blog.
Les deux activités existent donc pour moi en parallèle, et mes journées de travail se partagent entre les dossiers et les prises de vue, avec au milieu le travail relatif, justement, à la « traduction » des règles juridiques en langage plus accessible à tous. Si j’ai pensé un moment, avant de prendre mon statut d’auteur, revendre mon cabinet pour changer totalement d’orientation, aujourd’hui je constate que cette « double casquette » apporte aussi à ma crédibilité et enrichit tant mon expérience d’avocate que celle, qui se construit doucement, de photographe professionnelle.
> Déjà une version 3 du livre vendre ses photo, quelle nouveauté apporte cette version ?
Je n’avais pas réellement le choix en réalité. L’édition 2 s’est écoulée très rapidement, et au moment où il s’est agi d’éventuellement la réimprimer, il était de toute façon évident que je ne pouvais me contenter de l’imprimer en l’état. Il y avait à tout le moins de grosses mises à jour à faire.
En travaillant sur celles-ci, et en ajoutant différents sujets supplémentaires, j’ai aussi commencé à créer des schémas pour synthétiser visuellement la matière, dans l’espoir que sa compréhension soit alors plus simple. Et de fil en aiguille, ce travail m’a amenée au constat que la structure du troisième chapitre de l’ouvrage (consacré aux formalités à accomplir à partir du moment de l’inscription comme professionnel et pendant la durée de l’activité) n’était pas présenté de la façon la plus rationnelle qui soit. J’ai donc un peu.. puis beaucoup.. puis passionnément et totalement refondu ce chapitre trois, de façon à ce qu’il puisse coller à l’évolution du parcours du photographe professionnel, dans l’ordre où il aura à affronter les difficultés administratives. Cette refonte globale a expliqué que l’ouvrage a pris un peu de retard par rapport au délai annoncé, mais j’ai préféré privilégier la clarté à la rapidité.
Et à présent que le pli est pris, je ne compte pas m’arrêter en si bon chemin, et ce type de schémas sera aussi utilisé dans d’autres publications.
> La version 3 me semble plus lourde que les autres, y-a-t-il de plus en plus de pièges à éviter dans ce métier ?
Elle l’est en effet, il y a 150 pages de plus que dans l’édition 2.
D’une part à cause des nouvelles questions abordées, notamment dans le Chapitre 1. J’ai rajouté la question des voyages et stages photographiques que bon nombre de photographes veulent organiser, parfois en dépit des obligations légales et des lourdes contraintes. Et sans conscience des risques réels que cela leur fait courir, de même d’ailleurs qu’aux participants. Il me paraissait important de faire le point à ce niveau. J’ai également rajouté des questions relatives aux séances photo avec modèles, ainsi que celle des « portraits » numérotés et signés (la délicate controverse quant à savoir s’il s’agit de photo sociale ou non).
D’autre part, j’ai détaillé les points qui, en pratique, posent difficulté avec l’Agessa ou l’Administration des Impôts. Ceux-ci concernent essentiellement les Auteurs, dont le statut est privilégié par rapport aux autres professionnels, mais qui, pour faire respecter leurs prérogatives, se heurtent de plus en plus souvent à des obstacles administratifs majeurs venant soit des Centres de formalité des entreprises, soit de l’Administration fiscale, soit de l’Agessa.
Sans pouvoir, dans certains cas, apporter de réponses définitives du fait du vide législatif qui peut régner, j’essaie de proposer des solutions argumentées, de façon au moins à permettre aux photographes de faire valoir leurs droits en cas de difficulté. On se défend mieux quand, au moins, on comprend les règles qui régissent le statut d’artiste.
Dans cette refonte, j’ai aussi développé la question du cumul des statuts, à l’aide d’ailleurs là-encore de schémas et tableaux, car la proportion de photographes ayant une double activité ne cesse de s’accroître.
> Quel est ton regard sur le métier de photographe (auteur) aujourd’hui ?
Si tu parles du regard « artistique », je trouve que les photos que l’on voit passer sont de plus en plus belles, les séries de certains auteurs de mieux en mieux construites.
Les technologies dont nous disposons tant pour la prise de vue elle-même que pour la diffusion permettent une belle mise en valeur des images, et cela contribue sûrement à augmenter l’engouement autour de cette profession.
J’ai vu passer il y a peu un sondage (peu fiable sans doute, comme beaucoup de sondages) disant que la profession la plus convoitée par les Français serait précisément celle de photographes (chouette, ça fait beaucoup de lecteurs pour mon livre 😉 ).
Blague à part.. je crois donc que si l’on sait se mettre en valeur, on a déjà fait la moitié du travail pour arriver à se faire connaitre. Le reste est question de chance souvent, et de réactivité quand une occasion se présente.
> Il me semble que le métier va mourir ou profondément changer avec l’évolution des statuts et des lois, quel est ton point de vue à ce sujet ?
Et voici le pendant juridique de la question précédente. Bien sûr que la profession change.. il en va de même pour toutes les activités humaines, et ceux qui ne s’adaptent pas subiront le même sort que les dinosaures jadis.
La loi se complexifie aussi. C’est un fait.. mais c’est également une tendance générale. L’inflation législative a lieu dans tous les domaines. Demande à un comptable ou à un fiscaliste de comparer son métier d’il y a 30 ou 50 ans avec celui qu’il exerce aujourd’hui, et il te donnera sans doute la même réponse.
Cela ne signifie pas à mon sens que la profession mourra… ça me parait même impossible au vu de l’importance croissante de l’image dans la Société.
A nous de nous adapter… ce qui ne se fera jamais si l’on part perdants.
> Quel est ton sentiment suites aux nouvelles décisions de justices remettant en cause le droit du photographe ?
Tu évoques à mon sens la question du droit d’auteur et plus précisément de la question de l’originalité.
Le Code de la Propriété intellectuelle n’impose pas dans ses articles que l’œuvre soit « originale », c’est une création jurisprudentielle malheureusement tenace. Elle est d’ailleurs surtout mise en œuvre par les juridictions civiles. Les tribunaux correctionnels saisis d’actions en contrefaçon rentrent nettement moins souvent dans le débat.
L’évolution est inquiétante, surtout en ce qu’elle confère au magistrat un rôle de critique d’art.
Ainsi, on a vu une Cour d’Appel refuser la protection d’une photo utilisée sans l’accord de l’auteur (en fait, au-delà de la limite d’un contrat qui avait été signé) au motif que la photo, reprenant des règles de composition appliquées aussi en peinture depuis le XVIème siècle, ne serait pas originale…
Ca devient parfois totalement absurde….
Et d’autant plus absurde, juridiquement, que la contrefaçon est un délit. Et toute condamnation doit reposer sur un texte. Or, en faisant dépendre l’appréciation de l’existence ou non d’un délit de la seule opinion d’un magistrat sur l’originalité de l’œuvre, il n’y a plus de fondement légal incontestable à la peine éventuellement prononcée..
On vogue donc dans un flou très peu artistique et totalement insécurisant, tant pour les créateurs que pour les utilisateurs des images.
C’est d’autant plus frappant que la notion d’originalité est nettement moins mise en œuvre en peinture, en sculpture etc. Pourquoi la photographie aurait-elle à subir un « contrôle » plus sévère que les autres formes artistiques, alors que rien dans le Code ne l’autorise ?
> Comment as-tu découvert la passion de la photographie, et quels étaient alors tes sujets de prédilection ?
Essentiellement en lisant Géo depuis l’enfance.
Mais le vrai développement fut en 2004, avec mon premier réflexe numérique (l’incontournable 300D). Le virus n’a alors fait qu’empirer et à ce jour je suis totalement incurable, pour mon plus grand plaisir.
Petite, je photographiais un peu n’importe quoi, sans démarche vraiment construite. Et il y a sans doute peu de mes photos argentiques du début qui seraient montrables ou alors dans la section des « casseroles et bêtisiers » 😉
Au fil de mes voyages quand j’étais étudiante, j’ai trainé le boîtier partout où j’allais, ce qui a affiné doucement la technique, mais sans encore pouvoir me prétendre photographe, très loin de là. Je prenais par contre un réel plaisir, et l’œil peu à peu s’affine, les cadrages se précisent.
Bref, j’ai fait mes classes …. et comme j’aime apprendre, je continue tous les jours, le numérique ayant le grand avantage que déclencher une fois de plus pour tenter quelque chose ne coûte pas plus cher en développement.. alors on tente, et quand ça marche, on peaufine, on recommence, et on se crée un peu sa propre « patte ». C’est très motivant.
> Comment as-tu débuté la photographie ?
Au départ avec un petit Instamatic Kodak reçu quand j’avais 9 ou 10 ans. Mais par rapport aux photos que je voyais dans Géo auquel j’étais abonnée, je me suis vite sentie très frustrée.. 😉
Donc j’ai un jour demandé à mes parents un autre appareil digne de ce nom, et je me suis vue répondre que j’avais déjà de quoi faire des photos, mais que j’étais libre de gagner moi-même l’argent qu’il fallait pour en acheter un autre. Ce que j’ai donc fait en travaillant tout un été dans un commerce tenu par l’une de mes tantes, avant d’acheter un Pentax K1000 et son 50 mm « de base ».
J’ai utilisé cet appareil, en lui ajoutant au fil des années quelques autres optiques, jusqu’en 2004.
J’ai un peu développé et imprimé moi-même, mais ce n’était clairement pas mon point fort, il valait mieux que j’arrête ;-).. ou que je prenne le temps de mieux apprendre, ce que je n’ai pas fait (il fallait aussi que j’étudie un peu pour venir vous parler de tout cela aujourd’hui J )
> Question technique … De quoi est composé ton sac photo ?
Deux boîtiers Canon
– un 7D
– un 50D que je remplacerai dès que je peux, car il tire la langue derrière l’autre
Pour les objectifs, j’ai en permanence :
– Canon 70-200 mm f2,8 L IS USM (premier du nom)
– Canon 24-70 mm f2,8 L USM
– Tokina 11-16mm f2,8
Et, selon besoins :
. Canon 50mm f1,8
. Doubleur de focale Canon
. Fisheye Sigma 15mm f2,8
. Macro Sigma 105 mm
. flash Canon 430 EX (le moins possible, j’ai horreur du flash)
. trépied ou monopode
Et 2 ou 3 sacs différents selon les événements à couvrir et le matériel à emmener.
> Peux-tu nous parler de tes projets en cours pour le futur ?
Juridiques ou photographiques ?
Sur le plan juridique, toujours la rédaction de mes articles dans Compétence Photo, et sur le blog bien entendu. Je travaille également à autre chose mais il est encore un peu tôt pour l’annoncer un petit peu de patience et ça arrive….
Par ailleurs, je consacre du temps à développer l’activité « formation » qui me plaît beaucoup.
Des conférences sont déjà prévues dans les mois prochains :
. Une à Toulouse, à la demande d’un club photo en septembre
. Une à Biarritz pour la Médiathèque en octobre
. Celles du Salon de la Photo en novembre
. Deux autres aussi à Montier-en-Der, fin novembre
J’ai pu également co-encadrer un stage Photo/Droit de la Photo en avril dernier en Bretagne. L’aspect photo était assuré par Pascal Bourguignon (sur le thème du paysage) et pour ma part, je terminais de maltraiter les neurones des participants le soir avec 3 modules : statuts, droit d’auteur et droit à l’image. Tout le monde en a réchappé et semble même heureux, c’est plutôt bon signe.
Des contacts sont pris à différents endroits pour d’autres types de formations à destination notamment des professionnels de l’image, côté « utilisateurs » (agences de communication, etc), et un « produit » très sympa sera annoncé à l’automne à ce niveau. A la demande du responsable, je maintiens donc encore un peu de suspense à ce niveau, désolée ;-).
Sur le plan photographique, j’avais déjà publié en avril 2011 un livre intitulé « Le Pays Basque, terre de couleurs » ()
Pour le même éditeur, et à la demande également de la Ville de Biarritz, je travaille avec un autre photographe, André Lamerant , sur un livre qui sera consacré à Biarritz. Nous poursuivons les prises de vue au fur et à mesure des possibilités et du rythme saisonnier de la Ville.
Pour le reste, mes photos sur les thèmes régionaux ou naturels sont diffusées par l’agence Naturimages depuis quelques mois.
Je travaille également avec une agence basque pour la photo sportive. Ceci me permet d’approcher dans d’excellentes conditions des compétitions variées. Récemment, j’ai ainsi découvert l’univers du polo, que j’ai vraiment adoré prendre en photo
J’ai un faible par ailleurs pour toutes les disciplines de pelote basque, qui sont à la fois très physiques et terriblement photogéniques. Donc je couvre beaucoup de compétitions. L’ensemble de mes galeries « sportives » sont visibles ici:
J’ai d’autres projets en cours, mais de façon plus sporadiques. J’aimerais trouver un éditeur pour certains sujets qui constituent aussi un peu un fil rouge dans mon travail, mais d’une part ce n’est bien sûr pas évident, et d’autre part je n’ai, surtout, pas le temps de consacrer à cette recherche le temps qu’il faudrait pour lui donner une chance d’aboutir. Mais je suis patiente, si ça doit venir ça viendra, il suffit parfois du hasard d’une rencontre. Et c’est le côté agréable de cette double activité, je finis par rencontrer des gens un peu partout, toutes disciplines et activités confondues, ce qui est déjà intellectuellement très enrichissant.
Sur le plan caritatif, je consacre aussi beaucoup d’énergie à l’Association « Photographes pour la Vie », créée en 2012 et dont le site a été mis en ligne le 31 décembre dernier.
L’objet de cette association est de proposer des tirages originaux numérotés et signés, offerts par les photographes et vendus au profit exclusif de la Ligue contre le Cancer.
Les photographes ne perçoivent bien sûr rien dans cette vente et après paiement des frais du tireur (qui nous offre son temps et son savoir faire, et ne nous compte que la matière), le solde est versé sur un rythme trimestriel à la Ligue. Nous avançons bien dans le développement de l’Association, près de 200 photographes ont rejoint l’aventure, et ça ne cesse de s’étoffer. Nous préparons un très bel événement pour les mois prochains, qui va assurer un très gros buzz et, je l’espère, d’autres ventes au profit de la recherche c/ le cancer et de l’aide aux malades.
> Quels conseils juridiques donnerais-tu à des photographes débutants ?
Foncez, osez, prenez des contacts partout… et vérifiez simplement de façon scrupuleuse les contrats qu’on vous propose ou les règlements des concours auxquels vous participez.
Le fait de vouloir lancer une carrière ou développer une activité ne doit pas amener à brader votre travail, ou à accepter n’importe quoi.
Mais malgré la recrudescence de situations juridiquement boiteuses, je reste persuadée qu’avec de l’endurance, le photographe peut fort bien se construire une clientèle correcte, même si cela prend sûrement plus de temps que jadis.
> Question juridique personnelle : En photo de rue, les personnes photographiées ont une peur de plus en plus importante des photographes et souvent j’ai le droit comme remarque « J’ai des droit d’auteur sur les photos ! » ou « Vous devez avoir mon autorisation pour prendre le photo » Vrai ou faux ?
Telle que formulée, cette réplique des passants mêle en fait droit d’auteur (le droit du photographe sur sa photo) et droit à l’image (le droit de la personne représentée d’éventuellement s’opposer à la diffusion de son image.
Le sujet d’une photo n’a jamais de droits d’auteur sur la photo. Les lecteurs pourront à ce niveau lire ceci par exemple.
Il a par contre un droit à l’image, mais celui-ci ne permet pas toujours de s’opposer à la diffusion. Il faut pour cela qu’il démontre un préjudice. Cette matière est très vaste, et construite presque exclusivement par la jurisprudence, donc très fluctuante également. Je l’aborde très fréquemment sur mon blog, et une bonne façon de voir les tendances actuelles peut donc être de suivre ces parutions.
> Se verra-t-on cette année au salon de la photo ?
Si tu y viens, oui 😉
J’y serai bien sûr, sur le stand de « Compétence Photo » pour 2 conférences journalières les vendredi, samedi et dimanche (programme à fixer encore). Et si tu n’en n’as pas assez d’entendre parler de droit, tu pourras même faire une seconde session à Montier, la maison ne recule devant aucun sacrifice.
Merci à toi
C’est moi qui te remercie de t’intéresser à mon travail, et de m’aider à le faire connaître.
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Pour la sortie de la version 3 de son livre, nous avons demandé à Joëlle une petite interview. A lire sur Revue Photo