Ronan Fournier Christol, nous a accordé une interview dont la tonalité, à l’image de celle de ses films, allie sérieux et bonne humeur.
Fort d’une formation cinématographique conséquente, Ronan Fournier continue d’affiner sa maîtrise du cinéma animalier au fil de ses réalisations .
Afin de conserver une maîtrise optimale de son travail et de le diffuser plus aisément, il a créé et gère son entreprise de production audiovisuelle, " Songes de Moai".
Ronan a, entre autres films, réalisé " Le Secrets des Photographes animaliers I et II " . Dans ces deux documentaires, il met en lumière la discipline de la photographie nature dans une approche originale. Il donne la parole à quelques-uns grands acteurs qui confient une part des secrets de leur art, de leurs techniques et de la magie de leurs terrains de jeux naturels .
Avec "La Banquet des Loutres" et "Pantanal, le dernier sanctuaire du Jaguar", sa filmographie ne cesse de s’étoffer mettant tantôt en valeur le talent de brillants photographes animaliers, tantôt la beauté fragile de la nature .
Rencontre avec ce vidéaste fort sympathique .
Présentation et parcours
• Bonjour Ronan, peux-tu te présenter brièvement ?
– Je suis passionné à la fois par le high-tech et par la nature. Deux univers que l’on associe rarement mais qui peuvent en fait se servir l’un et l’autre : les technologies de l’image nous offrent aujourd’hui des moyens fabuleux pour faire découvrir la beauté du monde sauvage. J’ai réalisé une série de documentaires, diffusée sur France 5, « Les secrets des photographes animaliers » qui concrétise cette passion.
Concrètement je suis réalisateur et consultant technique en vidéo, via ma société de production « Songes de Moaï ».
• Peux-tu nous dire un mot du parcours qui t’as amené aux longs-métrages après un bac d’éco sociale puis repris des études conséquentes, ( une maîtrise de Cinéma et Audiovisuel,) terminées en 1993 .
Depuis mon plus jeune âge j’espérais travailler dans le cinéma. Parallèlement à une maîtrise d’audiovisuelle, qui m’a donné un bagage théorique sur ce métier, je consacrais tout mon temps libre à la réalisation de court-métrage, d’abord en Super 8, puis en 16mm et enfin en vidéo HD. Après un service militaire au service vidéo de l’armée de l’air, j’ai commencé à travailler dans la presse multimédia, avant d’être embauché par Ubi Soft, la plus grosse société de jeux vidéo française. Ma mission consistait alors à apporter les techniques du cinéma dans les jeux vidéo, afin de rendre ces derniers plus immersifs et plus palpitants. Mais après avoir travaillé quelques années dans cette énorme industrie, ou la créativité s’est progressivement effacée derrière les études de marché, j’ai eu besoin d’un bol d’air frais et c’est dans la nature sauvage que j’ai retrouvé la saveur de l’authenticité des « choses simples », comme dirait la pub ! Il y a dans la nature une certaine innocence qui est une source d’apaisement dans le monde, frénétique et souvent superficie,l dans lequel nous vivons. Plus le temps passe, plus j’ai besoin de me ressourcer dans la nature. J’ai donc eu envie de partager ce sentiment, c’est à dire de communiquer sur les bienfaits que peuvent nous apporter la nature… tant qu’elle est encore préservée.
• Tu as également créé une société de production, « Songes de Moaï », c’est un désir que tu avais ou une nécessité économique ?
Après avoir travaillé dans une grosse industrie, j’ai souhaité tenter l’aventure en solo, pour être maître de mes projets. La création d’une SARL est recommandée pour la production de films documentaires, si l’on souhaite être crédible face à une chaîne de télévision. Cela apporte aussi un statut administratif et fiscal indispensable. L’entretien d’une société coûte cher, malheureusement, mais je suis heureux de voir qu’au bout de 5 ans ma petite société existe toujours vaille que vaille !
Technique et Matériel
• Qu’utilises-tu comme matériel vidéo et dispositif de camouflage ?
Je tourne avec un caméscope Canon XLH1 qui permet de monter des objectifs photos et obtenir ainsi de très longues focales en mode vidéo. Depuis mes deux derniers films, j’enregistre les fichiers vidéo sur un enregistreur externe, le NanoFlash, afin d’avoir un échantillonnage de couleur en 4 :2 :2 et un débit vidéo plus élevé que celui du HDV et même que du XD-CAM HD. Cela me permet de proposer des Blue-ray de bonne qualité. L’année prochaine, si tout va bien, je m’équiperai en 4K (résolution 4 fois supérieure à la HD) !
Je n’ai pas de camouflage type. Tout dépend de l’espèce animale approchée. Je peux me dissimuler sous un affût de branchages, un affût en toile de tente, rester immobile sous un filet de camouflage, voire ne pas être présent du tout en télécommandant la caméra à distance. Pour « Le Banquet des Loutres », où j’ai pu filmer de nuit des loutres sauvages, très farouches, j’ai du utiliser toutes ces techniques successivement. Il faut avant tout bien connaître les moeurs de l’animal et adapter la technique et le matériel de tournage en fonction de cela.
• Tu es également photographe, quelle est pour toi la différence majeure entre la vidéo et la photo ?
Oh non, je ne suis qu’un photographe amateur ! Néanmoins, la différence majeure entre les deux activités réside dans le temps de montage qu’implique la vidéo. Un plan tout seul ne vaut rien tant qu’il ne s’inscrit pas dans une séquence qui raconte quelque chose. Alors qu’une photo unique peut suffire en tant qu’oeuvre achevée. C’est quelque chose qui a fait déchanter beaucoup de photographes qui espéraient se mettre à la vidéo avec les réflexes : la vidéo implique beaucoup plus de temps passé sur ordinateur. Car il ne suffit pas d’avoir de belles images mises bout à bout pour faire un bon film : il faut construire une narration, structurer son propos mais si celui-ci est principalement visuel. Sans parler du son, qui ne doit pas être négligé non plus, alors que la pollution sonore de nos contrées ne pose aucun problème en photo.
• Tu confies la bande-son de tes films et te charge de la réalisation mais assures-tu également toi-même écriture du scénario, prise de son, …
Effectivement. Comme j’autoproduits mes films, je n’ai pas les moyens d’avoir une équipe de techniciens. Je me suis donc efforcé d’assurer le plus de postes possible moi-même, depuis l’écriture du scénario jusqu’à l’envoi des commandes de DVD par la Poste, en passant par les prises de vues, le montage, le mixage et l’authoring des Blu-ray ! Mais cette variété me plaît beaucoup. La vente en direct me permet d’être au contact des clients, c’est très instructif. Il n’y a que la musique que je confie à un compositeur, par respect pour les oreilles de mes spectateurs !
• Quel est l’aspect que tu préfères dans le processus de création de tes films ?
La prise de vue est certainement le moment le plus excitant, lorsque l’on arrive enfin à saisir le comportement d’un animal. Mais je dois dire que j’aime aussi beaucoup le montage car c’est alors que le film commence à prendre corps. Une séquence bien montée est la récompense de tous les efforts physiques et la persévérance dont il a fallu faire preuve durant le tournage.
Les films
• On ne présente plus “Le Secret des Photographes animaliers”, qui connaît aujourd’hui encore un très beau succès, comment t’es venue l’idée de ces deux films ?
Tout simplement en faisant de la photo animalière en amateur : je me suis rendu compte que j’avais beaucoup de choses à raconter à ma femme en rentrant le soir pour lui décrire le jeu avec un rouge-gorge facétieux, ou mes parties de cache-cache avec les écureuils.
J’en ai déduit que des gens qui vivaient des aventures autrement plus captivantes, comme Vincent Munier, Eric Dragesco ou Gilles Martin, devaient être passionnants à écouter et à voir travailler sur le terrain.
• Peux-tu nous dire un mot de l’expérience humaine que cela a été pour toi, réalisateur, de côtoyer ces photographes de talent et spécialistes de leur discipline .
Tout d’abord j’ai été touché par la confiance qu’ils m’ont accordée, surtout pour mon premier film, en acceptant d’être suivi par l’œil inquisiteur de ma caméra. Ensuite j’ai essayé de ne pas trahir leur confiance en ayant un comportement exemplaire sur le terrain, avec le même sens éthique et la même discrétion qu’eux. Quelqu’un comme Fabrice Cahez n’aurait pas toléré que je fasse fuir un chat forestier en marchant sur une brindille par inadvertance ! Enfin j’ai naturellement beaucoup appris à leur contact, j’ai été impressionné par leur humilité face à la nature.
• As-tu découvert par là-même un aspect du monde animal qui t’étais peu ou pas connu ?
Oui bien sur ! La nature est toujours surprenante, surtout pour moi qui y suit venu « sur le tard ». à cause des mes origines parisiennes. Récemment en filmant une sitelle torchepot nous avons pu observer avec un photographe un comportement dont nous ignorions l’existence et qui serait demeuré invisible sans le ralenti de la vidéo. D’une manière générale, je choisis toujours des photographes qui me semblent les mieux à même de parler de telle ou telle espèce animale, justement parce qu’il y a beaucoup de choses à apprendre et que rien ne remplace leur expérience sur le terrain. C’est le critère principal dans le choix d’un photographe, la qualité esthétique de ses photos n’arrive qu’après.
• Y aura-t-il un tome 3 ?
Plus le temps passe, plus je découvre de nouveaux talents, de nouvelles approches photographiques, de nouvelles techniques de tournage et plus cela me donne envie de montrer un panorama plus large de notre faune sauvage… Donc si il y a un tome 3 ce devra être avec des animaux non filmés dans les deux premiers épisodes.
• Y a-t-il des astuces dont tu aurais pris connaissance lors du tournage et que tu utilises aujourd’hui ?
Chaque tournage apporte son lot d’expériences, pas que dans l’animalier d’ailleurs.
Par exemple j’ai remarqué que, couché sur le sol, il était bien plus facile de filmer les écureuils de prêts avec un petit camescope qu’avec une grosse caméra d’épaule. Ils avaient peur de l’engin ! Il y aurait trop d’exemples à citer, mais le fait d’avoir filmé des animaux dans des biotopes très différents, de jour, de nuit, sous l’eau, en macro etc., fait que j’ai eu la chance d’acquérir une variété d’expériences qui me permettent d’utiliser des techniques de tournage dont je n’étais pas capable lors du premier épisode des « Secrets… », que ce soit pour mes propres films ou ceux de mes clients.
• « Le Banquet des Loutres » est aussi, visiblement, d’une part une belle rencontre humaine avec Stéphane Raimond et d’autre part naturaliste avec les loutres …
Oui, l’histoire de ce pisciculteur tombé littéralement amoureux des prédateurs de son cheptel réunissait tous les ingrédients que j’aime : un personnage haut en couleur capable de transmettre sa passion, un message fort pour la préservation de la faune, et la possibilité de filmer un animal rarement observé dans son milieu naturel, en France. Le tout servi avec potentiel poétique évident et l’humour qui donnait tant de charme à son livre. C’est un film que je n’ai pas réussi à vendre aux chaînes de télévision, qui ont du mal à accrocher avec le mélange des genres documentaire et humour, mais qui plait beaucoup lors des projections publiques.
• Tu es également parti à la rencontre du jaguar dans “Pantanal, le dernier sanctuaire du jaguar” dans un documentaire à la facture plus classique et une attention particulière portée aux mesures de protection et aux menaces qui concernent cette région …
Le Pantanal est une région splendide du Brésil au sud de la forêt amazonienne, mais qui demeure encore trop méconnue. Même si se retrouver à 10 mètres d’un jaguar libre et sauvage est un moment d’intense émotion, le Pantanal recèle une biodiversité exceptionnelle qui mérite toute notre attention. C’est d’autant plus malheureux de voir ces zones si isolées pourtant pollués par des déchets charriés par des eaux qui arrivent de plusieurs centaines de kilomètres. De plus le développement de l’écotourisme là-bas pose de nombreuses questions auxquelles il fallait répondre en évitant toute position manichéiste.
Actualité et projets
• Peux-tu nous parler de ton actualité et, peut-être, des projets à venir ?
Je travaille actuellement à un film pour la rentrée qui sera officiellement annoncé dès que le tournage sera suffisamment avancé pour que je sois rassuré quant à sa bonne finalité. La nature étant imprévisible, je préfère toujours resté prudent avant de communiquer sur un film. A plus long terme j’ai un projet sur la faune malgache qui sera tourné en 4K, pour lequel j’ai déjà fait des repérages l’année dernière.
• Y a-t-il autre chose dont tu aimerais parler pour clôre cet interview ?
Je voudrais vous remercier pour votre accueil sur cette page et également en profiter pour rappeler que la pratique de la photo ou la vidéo animalière ne doit pas se faire au détriment des animaux, surtout les espèces sensibles, fragiles ou menacés. Je n’ai aucune leçon à donner car j’ai bien conscience que si je m’abstenais de tourner ces films, je risquerais encore moins de déranger les animaux. Mais je crois qu’il est important de marteler ce message car il y a tous les jours de nouveaux adeptes de la photo nature qui ne réalisent pas forcément à quel point la simple présence humaine est source de dérangement pour la faune.
Les liens internet
Le site web de Ronan Fournier-Christol
Le site web de "Songes de Moai"